Gregory Ninot, Université de Montpellier
Maladies cardiovasculaires, cancers, troubles respiratoires, diabètes, dépressions, maladies neurodégénératives… Aujourd’hui, un Français sur trois souffre d’une maladie chronique. Une proportion qui grimpe même à trois Français sur quatre après 65 ans. Et le nombre de personnes concernées ne cesse de croître, en raison du vieillissement de la population, de l’allongement de l’espérance de vie et des dépistages précoces.
Or, être atteint d’une maladie chronique augmente les risques de complication, de nouvelles maladies, de dépendance et de précarité sociale. Outre la souffrance des malades, ces pathologies pèsent de plus en plus lourdement sur le système de santé et les familles.
Le 14 février dernier, l’Inserm a publié un rapport sans précédent sur l’importance de l’activité physique dans la prévention et le traitement des maladies chroniques. Cette expertise collective, conduite selon une démarche rigoureuse établie par l’Inserm, a nécessité trois ans de travail. Un groupe pluridisciplinaire composé de 14 experts a analysé plus de 1 700 références bibliographiques portant sur onze maladies chroniques fréquentes. Les experts se sont appuyés sur des études de cohorte, sur des études expérimentales chez l’animal et l’être humain, et sur des essais cliniques publiés dans les meilleures revues scientifiques et médicales du monde.
Leur conclusion est simple : les bénéfices de la pratique de programmes d’activité physique adaptée l’emportent sans conteste sur les risques encourus, et ce quel que soit l’âge et l’état de santé des personnes. Voici les principaux enseignements à retenir de ces travaux.
Le cercle vicieux du déconditionnement physique et psychosocial
Avec le temps, les répercussions des maladies chroniques dépassent souvent le cadre de la « simple » atteinte organique initiale. Des complications peuvent survenir, en lien avec l’évolution de l’affection ou consécutives aux effets secondaires des traitements. Peu à peu, d’autres troubles se signalent, en sourdine.
À cela s’ajoute une tendance au repos et un repli sur soi. Les patients entrent progressivement dans le cercle vicieux de déconditionnement physique et psychosocial. Ce processus les conduit à l’inactivité physique.
Par exemple, les patients atteints de broncho-pneumopathie chronique obstructive sont victimes d’un essoufflement à l’effort (dyspnée) qui les plongent dans le cercle vicieux du déconditionnement. Pour éviter d’être essoufflés, ces malades deviennent sédentaires. Or le manque d’exercice les rend encore plus sensibles à la dyspnée. Le moindre effort semble insurmontable, ce qui engendre une peur disproportionnée et une perte de confiance. Les actions du quotidien deviennent difficiles à accomplir. Peu à peu, des troubles métaboliques, musculaires et osseux peuvent survenir. La dépression guette, qualité et durée de vie se dégradent…
Le cercle vicieux du déconditionnement affecte durement les 20 millions de Français fragilisés par une malade chronique nouvellement diagnostiquée, et plus gravement encore ceux dont la maladie est avancée. Ce phénomène peut être enrayé par la pratique d’un programme d’activité physique adaptée, qui permet au patient de reprendre conscience de ses capacités et de les améliorer.
Mettre tout en œuvre pour faciliter la mobilité active des personnes malades chroniques, par l’aménagement de lieux adaptés, par une meilleure accessibilité des espaces publics et sportifs et par la promotion des bénéfices sur la santé d’une activité physique régulière est devenue une priorité pour une population française vieillissante, de plus en plus exposée aux maladies chroniques.
À lire aussi :
Comment savoir si vous êtes sédentaire ?
Au-delà de la prévention
Les travaux menés par l’Inserm montrent que, dans le cas des maladies cardiaques, des cancers, des maladies respiratoires, des maladies articulaires, des diabètes, des accidents vasculaires cérébraux ou des dépressions, les programmes d’activités physiques adaptés sont efficaces et sûrs.
Prescrits par des médecins, personnalisés et ajustés au mode de vie des patients, appliqués par des professionnels formés, ils améliorent la qualité de vie, réduisent les symptômes, préviennent l’apparition de nouvelles pathologies et diminuent les hospitalisations non programmées.
Ces programmes spécifiques ne viennent pas en opposition aux traitements classiques (chirurgies, médicaments, dispositifs médicaux…), ils les complètent. Dans certains cas, comme les cancers, ils les potentialisent même (acte préparatoire à une chirurgie, diminution des toxicités de chimiothérapie).
Dix points concrets à retenir
Quels seraient les 10 enseignements à retenir de cette expertise collective pour la pratique ?
1. Prescrire précocément
Si les bénéfices des programmes d’activités physiques adaptées sont avérés pour les maladies chroniques sévères, la prescription médicale, notamment par les médecins généralistes, devrait se faire dès l’annonce de la maladie. D’autant plus que les éléments réglementaires et procéduraux sont aujourd’hui disponibles respectivement avec le décret 2016-1990 et le guide de la HAS publié en 2018. Les médecins disposent d’une nouvelle gamme de traitements pertinents et efficaces dans leur arsenal thérapeutique qu’ils sont habilités à délivrer à bon escient dans les parcours individuels de santé de leurs patients.
2. « Primum non nocere » plutôt que « citius, altius, fortis »
« En premier, ne pas nuire » plutôt que « plus vite, plus haut, plus fort » : les programmes d’activités physiques adaptées doivent garantir une sécurité maximale aux participants malades chroniques et ne pas rechercher une performance sportive contre d’autres personnes ou le chronomètre.
3. Respecter la bonne dose-réponse
La fréquence, la durée, l’intensité, la nature des pratiques et leur contexte doivent être spécifiques d’une maladie donnée, et focalisés sur un objectif de santé principal (par exemple, l’effet anti-fatigue durant les traitements du cancer du sein).
4. L’activité physique est un traitement complémentaire efficace
Les programmes d’activités physiques adaptées, validés et améliorés continuellement par la science font partie des interventions non médicamenteuses (INM). Ils améliorent directement la qualité de vie patients atteints de maladies chroniques, qui en ressentent un bénéfice direct. Des études montrent des effets significatifs sur la durée de vie (31 % de réduction de la mortalité prématurée dans la broncho-pneumopathie chronique obstructive, qui touche 1,5 million de Français par exemple). La prévention des risques de récidive est également améliorée (-38 % dans le cancer du sein et du colon par exemple), tout comme le taux de guérison (taux de 41 % de rémission équivalent à celui des antidépresseurs et des thérapies cognitivo-comportementales dans les dépressions légères à modérées par exemple).
5. Utiliser les solutions numériques pour quantifier l’activité
L’arrivée massive des solutions numériques de mesure (montres connectées par exemple), de traçabilité (comme le carnet de suivi numérique) et d’évaluation (telle que les balances impédancemétriques qui permettent de connaître la composition corporelle) consolide les données recueillies par des questionnaires. Ces données font progresser la spécialisation des programmes en recherche et leur personnalisation en routine clinique.
6. Entretenir la motivation
Les risques d’abandon des programmes d’activités physiques adaptées ainsi que de la mobilité active sont plus élevés chez les malades chroniques. Le rapport de l’Inserm fait le point sur les solutions envisageables pour lutter contre cet abandon. Parmi elles figurent la liberté des choix de pratiques (en accord avec les invariants thérapeutiques), l’accent mis sur le plaisir, le soutien de « patients partenaires ». Paradoxalement, le fait de s’approprier la maladie (et finalement y mettre un sens) peut être un déclencheur d’une pratique s’inscrivant dans une d’habitude de vie, un peu comme celle de se brosser les dents tous les soirs avant de se coucher.
7. La recherche clinique accélère, se mondialise, et doit être encouragée
L’accélération exponentielle de la recherche clinique et de l’innovation dans le monde sur le sujet depuis une vingtaine d’années doit encourager de jeunes chercheurs des sciences de la vie, des sciences humaines et des technologies à s’y impliquer.
8. La sensibilisation et la formation sont essentielles
Sensibiliser le grand public et mieux former dans les cursus initiaux et continus des professionnels de santé (par exemple, en intégrant des enseignements obligatoires dans des cursus des médecins) et les professionnels de l’activité physique (évaluation, programmation, suivi, sécurité, alliance thérapeutique, approche motivationnelle) vont être des piliers indispensables suite à l’abondance des preuves issues des études cliniques et interventionnelles.
9. L’activité physique est un vecteur d’économies et d’emplois
Des données économiques existent notamment à l’étranger pour faire des programmes d’activités physiques adaptées des moyens de limitation des dépenses de santé et du reste à charge pour les familles. L’inactivité physique coûte chaque année 1,3 milliard d’euros à la France, dont une bonne partie évitable. Des essais cliniques commencent à montrer des ratios coûts-efficacité favorables.
10. Un levier de la transition du système de santé :
Le développement des activités physiques pour les malades chroniques illustre bien la migration de notre système de santé, du « cure » (« guérir à tout prix ») au « care » (« prendre soin »). Les programmes d’activités physiques adaptées s’intègrent à différentes étapes du parcours de santé des patients, en complément d’autres traitements. La seule manière de répondre à des maladies complexes est en effet d’associer des thérapeutiques et des actions de prévention pertinentes.
Cette expertise collective Inserm est capitale. À l’image de ce qui s’est passé avec la prévention du tabagisme voici quelques années, on ne pourra désormais plus dire qu’on ne connaissait pas les mesures à mettre en œuvre pour améliorer la situation des malades chroniques…
Reste désormais à passer à l’action pour mettre en œuvre et rembourser ces interventions non médicamenteuses (INM). Ceci n’est plus une question de science…
Gregory Ninot, Professeur en santé, psychologie et sciences du sport, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.